Pratiques et Doctrines

Les textes insulaires apportent une information abondante sur les techniques magiques, incantatoires ou divinatoires, voire médicales, utilisées par les druides. Mais ils sont pratiquement muets sur le rituel, comme les textes antiques. Une des exceptions les plus notables est le récit de Pline (Histoire naturelle , XVI, 249) concernant la cueillette du gui, accompagnée du sacrifice de deux taureaux : il s'agit d'un rituel d'élection royale dont nous avons la contrepartie et le complément en Irlande.

Mais l'on est bien renseigné sur les conceptions religieuses du druidisme, au moins dans ce qu'elles ont de spécifique, c'est-à-dire notamment en ce qui concerne l'écriture, le temps et l'Autre Monde, l'immortalité.

Les Celtes n'ignoraient pas l'écriture : les Gaulois ont utilisé l'alphabet grec dans des inscriptions votives ou funéraires. Par ailleurs, les textes irlandais contiennent d'innombrables mentions d'emploi de l'écriture ogamique par les filid , voire par des guerriers. Mais l'écriture était proscrite en tant qu'archive ou moyen de transmission du savoir traditionnel parce que, par rapport à la parole, elle est morte et fixe éternellement ce qu'elle exprime. Tous ses emplois sont magiques ou incantatoires et, pour cette raison, le dieu de l'Écriture, Ogme, est aussi le dieu sombre, le patron de la guerre et de la magie (il a donné son nom à l'écriture irlandaise traditionnelle, les ogam ). Le gaulois, langue sacrée et savante, a disparu avec toute sa littérature parce qu'il n'a jamais été une langue écrite et, sans la christianisation qui a propagé l'étude des Écritures, l'irlandais aurait subi le même sort ou au moins n'aurait presque rien laissé de sa littérature mythologique. Le droit irlandais considère encore comme seule preuve concluante "la mémoire concordante de plusieurs personnes".

Les relations des hommes avec les dieux de l'Autre Monde ont pour caractéristique d'échapper aux normes du temps fini, comme la fête de Samain  au cours de laquelle elles se déroulent : les humains qui se rendent dans l'Autre Monde pensent y rester quelques heures ou quelques jours et leur séjour dure plusieurs siècles ; ils ne peuvent plus rentrer dans le temps normal sans en mourir. C'est que l'Autre Monde, le Síd , est à la fois la Paix (sens initial du mot síd ), la Perfection et l'Éternité. Les Irlandais le nomment aussi : Tir na mBéo  ("Terre des Vivants"), Tir na mBán  ("Terre des Femmes"), Mag Meld  ("Plaine des Plaisirs"), parce qu'on y est éternellement jeune, sans souffrance, sans maladie ni vieillesse. L'un des thèmes les plus élégants de la littérature insulaire est celui - version celtique du mythe d'Éros et Psyché - de la jeune et jolie femme (la banshee , irl. bánsidh , ou "femme du síd " du folklore moderne) qui vient chercher, dans un vaisseau de cristal, un mortel à qui elle a promis amour et félicité sans fin.

La croyance en l'immortalité de l'âme est dans toutes les doctrines celtiques, mais, contrairement à une interprétation erronée, elle ne s'accompagne pas de la croyance à la métempsycose et à la réincarnation. On a le plus souvent confondu la réincarnation et la métamorphose (les dieux changent facilement de forme et ils ont des symboles zoomorphes : ours, corbeau, sanglier, cygne, etc.), la métamorphose et la théorie métaphysique des états multiples de l'être. La mythologie irlandaise ne connaît en fait que deux personnages ayant été sujets à des métamorphoses animales : Tuan mac Cairill ("fils de Cairell") et Fintan (Vindoseno-s , "Blanc-Ancien") ; ces deux druides primordiaux ont vécu plusieurs millénaires, depuis le Déluge jusqu'à saint Patrick et ses successeurs immédiats, à qui ils devaient transmettre tout le dépôt du savoir traditionnel de l'Irlande.